Le jour d’après passera aussi par la gamelle de nos animaux
La pandémie que nous traversons invite chacun de nous à repenser nos modes de consommation : les nôtres… mais aussi ceux de nos animaux de compagnie. Le marché est colossal : les Français dépensent plus de 2,8 milliards d’euros annuels [1] pour l’alimentation de leurs seuls chiens et chats. Le rôle de la consommation de viande et l’élevage intensif associés à l’alimentation animale sont au cœur de cette remise en question.
Etat des lieux sur la premiumisation de l’alimentation animale
Les Français, dont un ménage sur deux possède un animal de compagnie [2], entretiennent des liens affectifs forts avec leurs compagnons à poils. Une anthropomorphisation qui impacte directement le contenu des gamelles : les propriétaires cherchent pour leurs chiens et chats les meilleurs produits possibles pour leur santé, leur bien-être, leur plaisir. A cette vision humanisée s’est rajouté le mimétisme et le transfert de nos propres représentations, comportements et rationalités de consommation. C’est ainsi que l’on a vu fleurir une offre pléthorique de produits alimentaires calqués sur ceux destinés aux humains : croquettes plus faciles à digérer, avec des antioxydants, snacks « light », apparition de « superaliments » comme les graines de chia et les cranberries, recettes « healthy », etc.
La demande en matière d’alimentation animale s’est ainsi faite au fil des ans plus exigeante, plus personnalisée, plus sophistiquée, plus « premium ». Au cœur de cette montée en gamme, la quête d’une plus grande traçabilité et qualité des ingrédients qui la composent. Les Français sont désormais plus regardants sur la provenance des produits, leur composition ou encore les procédés de fabrication : développement de gammes biologiques, productions locales, boom des produits sains et naturels, faits-maison, « sans » (sans céréales, sans conservateurs, sans arômes, sans sucres ajoutés, sans gluten, sans lactose, etc.), etc.
Cette premiumisation de l’alimentation animale s’est elle aussi nourrie des différentes crises sanitaires. Patience Le Coustumer, Johannes van der Pol, Jean-Paul Rameskhourmar l’écrivaient déjà en 2019 [3] au sujet de ce qui fit scandale en 2007, l’adultération par adjonction de mélamine dans la farine servant à la préparation d’aliments secs et humides et ayant entraîné la mort de centaine de chats et de chiens aux États-Unis : « Le scandale a conduit à des changements de production, de réglementations, de stratégies marketing des produits, à l’émergence de nouveaux acteurs et surtout, à la consolidation de l’image d’un « nouveau consommateur » qui serait à l’origine de la premiumisation de ces marchés ».
Une alimentation animale toujours plus riches en viande et aux conséquences néfastes sur l'environnement et notre santé
Mais paradoxalement, ce souhait de porter davantage attention à la santé et au bien-être des animaux de compagnie a également contribué à la montée en flèche de régimes alimentaires hautement consommateurs de viande (parce que plus proches de leur alimentation naturelle d'origine ) par contraste à la nourriture « standard » qui s’appuie sur les sous-produits de la consommation humaine : régimes exclusivement carnivores, régimes hyper protéinés, régimes carnés sur la base viande de qualité ultra-premium, etc.
Or, la pandémie que nous traversons invite plus que jamais à prendre en considération les rôles de la consommation de viande et de l’élevage intensif dans l’alimentation. 60 % des maladies infectieuses émergentes sont classées comme zoonotiques, c’est-à-dire transmises des animaux à l’homme [4] . Parmi les grandes épidémies qui nous ont frappés depuis le milieu des années 80 plusieurs proviennent de l’élevage intensif d’animaux : crise de la « vache folle » (1986), grippe d’origine aviaire (1997, 2004, 2016), ou encore grippe d’origine porcine (2009), etc. Sans parler des épidémies qui auraient pour origine la consommation d’animaux sauvages comme celle du Covid-19 (pangolin ou chauve-souris) que nous traversons actuellement ou encore celle d’Ebola (viande de brousse ou chauve-souris) en 2014.
L’alimentation carnée nécessite davantage de surfaces agricoles qu’une alimentation végétale, contribuant à la raréfaction des ressources, à un épuisement des terres, à la déforestation et au réchauffement climatique. Suivant les animaux, il faut en effet de 3 à 12 kilos de végétaux pour obtenir un kilo de viande consommable, entraînant une consommation effrénée de céréales, de légumineuses, d’herbe, d’eau, etc. Le développement de la consommation de viande et la déforestation associée ont un impact direct sur la biodiversité. En détruisant l’habitat des espèces sauvages, ils participent par ailleurs à une plus grande exposition des humains et de leurs élevages aux virus, contribuant à leur tour à favoriser l’apparition de maladies zoonotiques.
Une voie vers une alimentation animale durable est essentielle
Une troisième voie doit être possible pour ne pas avoir à arbitrer entre nourriture industrielle de mauvaise qualité et nourriture de qualité premium encore plus consommatrice de ressources. L’alimentation des animaux de compagnie à base de protéines d’insectes pour remplacer la viande conventionnelle peut être une alternative. La farine d’insectes, source de protéines de qualité supérieure et riche en acides aminés et acides gras essentiels pour les animaux, est traçable et évite la présence d’antibiotiques et d’hormones de croissance. Elle nécessite 100 fois moins de CO2 émis que pour produire un kg de viande de bœuf. 200 fois moins d’eau que de produire un kg de volaille.
Elle n’est bien entendu pas la seule. A titre d’exemple, Wild Earth réfléchit à l’utilisation des protéines végétales contenues dans les koji, ou encore aux promesses de la viande de synthèse. Et surtout, elle n’est pas parfaite ne serait-ce parce que l’alimentation à base de protéines d’insectes se limite aussi à ses capacités de production. Il y a d’ailleurs fort à parier que « le jour d’après » dont on parle tant dans les médias se construise autour d’une myriade d’initiatives et non de l’émergence d’une solution unique, forcément imparfaite et illusoire. C’est ce que nous pouvons espérer de mieux en cette période de remise en question : qu’elle continue d’être un terreau fertile à l’innovation afin de primer des modèles de consommation raisonnés, raisonnables et respectueux de l’environnement.
[1] Il y a en France 13 millions de chats 7,3 millions de chiens. Selon « Le marché français de l’animal de compagnie : Bilan de l’année 2017 (Les Echos Etudes) », les Français consacrent un budget alimentation d’environ 187 € pour leur chien et 114 € pour leur chat. Une fourchette basse puisqu’elle ne couvre pas l’intégralité du marché (et notamment les achats alimentaires faits en circuit vétérinaire).
[2] La moitié des Français possède un animal de compagnie. Le chat est l’animal le plus détenu. 65% des propriétaires possèdent un chat et 56% un chien. Parmi les non possesseurs, 28% envisagent à court / moyen terme d’adopter un animal, ce qui montre que le marché n’est pas encore saturé. Le marché français de l’animal de compagnie : Bilan de l’année 2017 (Les Echos Etudes)
[3] Patience Le Coustumer, Johannes van der Pol, Jean-Paul Rameskhourmar. L’apport des méthodes mixtes pour interroger le changement dans les marchés : le cas du marché du pet food. 15e Congrès de l’Association française de science politique (AFSP), ST 1 : Causalités et “ méthodes mixtes ” dans l’analyse du politique : enjeux théoriques et méthodologiques pour la science politique française, Sciences Po Bordeaux, Jul 2019, Pessac, France. ffhalshs-02304414f
[4] B. J. McMahon, S. Morand, J. S. Gray (2018) Ecosystem change and zoonoses in the Anthropocene. Zoonoses Public Health. 65 : 755–765. https://doi.org/10.1111/zph.12489